Action sociale communale :
Une vie digne est un droit, la solidarité un devoir
Tant que la situation économique est bonne, l’action sociale des collectivités publiques n’est pas trop contestée. En revanche, lorsque la situation économique se dégrade et qu’on devrait logiquement s’attendre à ce que la société renforce son devoir de solidarité, la politique sociale de l’Etat est remise en cause, comme si l’action sociale était une bonne œuvre charitable à laquelle on octroierait des moyens non plus en fonction des besoins, mais en fonction des rentrées de l’Etat. Ceux qui s’en prennent alors à l’action sociale l’accuse d’être trop généreuse et de mettre les individus en situation d’assistés passifs et dépendants. On pointe alors deux, trois profiteurs du doigt en généralisant leur cas.
Rappelons d’abord qu’il existe un droit fondamental de toute personne « à la vie, à la liberté et à la sûreté de sa personne », que toute personne « est fondée à obtenir satisfaction des droits économiques, sociaux et culturels indispensables à sa dignité et au libre développement de sa personnalité » (articles 3 et 22 de la Déclaration universelle des droits de l’homme). On rappelle assez aux jeunes qu’il n’y a pas de droits sans devoirs, pour que nous puissions concevoir que ce droit fondamental implique un devoir: la société a un devoir de solidarité. Et mieux elle arrivera à accomplir ce devoir de solidarité, mieux elle arrivera à créer un lien social en impliquant et responsabilisant tous ses membres, plus elle réussira à réduire les tensions et conflits qui existent dans toute collectivité humaine. La solidarité n’est pas un geste généreux envers les autres, c’est à la fois un devoir de tous et un investissement pour chacun d’entre nous afin de nous assurer ainsi qu’à nos enfants un cadre de vie libre et sûr.
Mais comment redistribuer de l’argent dont l’Etat fédéral, les cantons, les communes ne disposeraient plus ? Faut-il alors s’endetter et prétériter ainsi les générations futures ?
Ce n’est pas ce que prônent les Verts. D’autres solutions existent.
Quand il y a moins d’argent, la première chose à faire c’est de le répartir plus justement, de réduire les inégalités et l’injustice sociales. Les nombreux scandales autour de primes exorbitantes de départ que se sont octroyées certains cadres ont suscité à juste titre une réprobation unanime.
Mais cela ne suffira pas à assumer complètement notre devoir de solidarité surtout si nous le comprenons, à l’instar de la Déclaration universelle des droits de l’homme, comme un devoir envers les personnes de l’ensemble de la planète. Aujourd’hui, une partie de l’humanité consomme les ressources naturelles à un rythme incompatible avec les capacités de la planète. En nous engageant plus dans une réduction de l’accoutumance au gaspillage des énergies non renouvelables, en nous engageant à accepter une reconversion de nos modes de vie, nous susciterons des économies financières considérables qui nous permettront non seulement d’être plus solidaires avec les générations actuelles et respectueux des générations futures, mais également de créer de nouveaux emplois dans la production d’infrastructures plus économes en énergie et compatible avec le développement durable.
Enfin, il faut rappeler que l’action solidaire ne se limite pas à une question d’argent, la preuve en est que des communautés moins riches sont souvent plus solidaires compensant l’absence de moyens par de réels réseaux d’entraide informels et solidaires. L’objectif de l’action sociale, contrairement à ce qu’avancent certains de ses détracteurs, n’est pas d’entretenir des personnes assistées, mais bien de permettre à tout individu de récupérer les forces et ressources nécessaires indispensables à sa dignité et au libre développement de sa personnalité. La dépendance prive l’individu de son droit fondamental à la liberté, ainsi l’objectif de toute politique sociale est de préserver ou de favoriser l’autonomie des personnes. Deux exemples pour illustrer mon propos : les aînés et les jeunes.
Les aînés n’ont parfois pas besoin d’une aide gigantesque pour pouvoir rester dans leur appartement et préserver leur autonomie. Ils ne réclament pas non plus d’être à la charge de la société, même si leurs maigres revenus ne leur permettent pas toujours de financer l’aide dont ils ont besoin. Quelle que soit leur situation, ils souhaitent remplir un rôle social le plus longtemps possible. L’action sociale de proximité devrait permettre de créer des réseaux d’entraide de voisinage, qui faciliterait le lien social: Il suffit de dialoguer avec toutes les personnes concernées pour que des idées fusent, des projets se construisent, des personnes s’activent et rajeunissent. Il appartiendra alors aux institutions sociales et politiques de témoigner leur reconnaissance et de valoriser l’engagement citoyen et non pas de le récupérer et de s’en attribuer les mérites.
La politique à l’égard de la jeunesse doit poursuivre le même objectif d’accès à l’autonomie. Il ne s’agit là non plus de monter de fabuleux projets pour les jeunes ou de mettre des infrastructures luxueuses et coûteuses à leur disposition, mais plutôt de les aider à construire et à réaliser leur propre projet, de négocier là aussi des règles et des contreparties. Des groupes de jeunes ont besoin de pouvoir se réunir entre eux et réclament rapidement des locaux. Il y a urgence, parce que le groupe est forcément éphémère, les études, la vie active, les relations amoureuses vont forcément avoir raison du groupe. Mais cette organisation en
groupe est vitale dans la construction de l’autonomie. Les projets de gestion accompagnée de locaux même rudimentaires, (containers, abri PC, locaux momentanément désaffectés) répondent par exemple à ce besoin social sans grever lourdement un budget communal.
Avec de l’imagination, un dialogue et une volonté de rendre tout individu acteur de son destin, une politique sociale n’est pas obligatoirement un gouffre financier.
Il est évident qu’on aurait tort de faire des économies sur le personnel qualifié qui doit pouvoir disposer de temps nécessaire pour imaginer, créer des projets individuels ou collectifs avec les personnes concernées. Cet investissement indispensable rapporte certainement beaucoup plus qu’il ne coûte.
Paru dans le journal le Courrier, mars 2007