Verts de Meyrin-CointrinPierre-Alain Tschudi

Conseiller administratif de la Ville de Meyrin

Verts de Meyrin-Cointrin

Discours prononcé lors de la cérémonie du Prix Alkarama pour les défenseurs des droits de l'homme, le 7 décembre 2012 au Centre international de Conférences de Genève (CICG).

 

Monsieur le Président du Conseil de la Fondation d'Alkarama,
Monsieur le Directeur de la Fondation Alkarama,
Mesdames et Messieurs les représentants des missions permanentes auprès des Nations Unies,
Mesdames et Messieurs les membres des familles des deux lauréats que nous honorons ce soir,
Mesdames et Messieurs les membres de la Fondation Alkarama,
Mesdames et Messieurs les invités,

C'est pour la commune dont je suis cette année le maire, à savoir la ville de Meyrin, un grand honneur d'être associée à la remise du prix Alkarama 2012 et je voudrais tout d'abord vous transmettre les salutations solidaires des deux autres membres de l'exécutif de la commune de Meyrin, Madame Monique Boget et Monsieur Jean-Marc Devaud qui n'ont pas pu se libérer ce soir.

Nous sommes honorés d'être parmi vous parce qu'il eut été certainement plus prestigieux pour la Fondation Alkarama de solliciter le maire de Genève ou celui de Paris, villes internationales mondialement connues. Ces derniers auraient certainement accepté l'invitation. Mais vous vous êtes adressé à Meyrin, petite ville de 22'000 habitants dans la périphérie genevoise. Vous vous êtes adressé à Meyrin parce que des liens se sont tissés,au fil du temps, entre votre Fondation et notre ville autour d'une préoccupation et d'un engagement qui nous sont communs, la défense des droits de l'homme. Ces liens ne sont certes pas très étroits, mais ils ne sont pas purement déclamatoires non plus.

Ils se sont établis autour de deux événements que vous me permettrez d'évoquer brièvement: Meyrin est une ville où les habitants proviennent de plus de 130 nationalités. Certains sont arrivés à Meyrin non pas par choix, mais parce qu'ils ont été contraints, un jour, de fuir leur pays pour échapper à la persécution, la torture et la mort. Ils ont été contraints de fuir leur pays, parce que le pouvoir en place n'acceptait pas que des citoyens pensent différemment. Ils ont été contraints parce qu'ils avaient osé revendiquer la liberté. Or, «la liberté, c'est toujours la liberté de celui qui pense autrement», comme l’a dit si justement Rosa Luxemburg. Parmi ces nouveaux Meyrinois, originaires des cinq continents, certains ont perdu des proches sans jamais pouvoir faire leur deuil, parce qu'ils n'ont jamais su où et dans quelles circonstances leurs proches, enlevés un jour à leur affection, avaient été éliminés.
Alors, nous avons décidé avec ces familles de disparus, de créer à Meyrin un lieu de mémoire, un lieu de recueillement, un lieu de rassemblement pour exiger haut et fort et toujours que la vérité sur la disparition forcée des personnes soit établie et que justice soit rendue. Ce lieu c'est «le Jardin des disparus» de Meyrin, lieu de mémoire et d’engagement pour que l’oubli ne s’installe pas et pour qu’un jour ces pratiques cessent. Mais tant que la disparition forcée de personnes restera impunie, il y aura toujours des pouvoirs qui seront tentés d’y avoir recours. Ou, comme le dit le célèbre écrivain uruguayen Eduardo Galeano, «Pour que l’histoire ne se répète pas, il faut sans cesse la remémorer, l’impunité qui récompense le délit encourage le délinquant. Et lorsque le délinquant, c’est l’Etat, qui viole, vole, torture et tue sans rendre de comptes à personne, alors il donne lui-même le feu vert à la société entière pour violer, voler, torturer et tuer. Et la démocratie en paie, à longue ou courte échéances, les conséquences.»
Dans le Jardin des disparus de Meyrin, nous avons planté cinq arbres, un de chaque continent, avec de la terre qui provenait des différentes régions où des femmes et des hommes ont été enlevés un jour pour s’être engagés en faveur de la justice, de la liberté et des droits humains. Cette terre, nous l’avons mélangée car dans le jardin des disparus, il n’existe plus qu’une seul terre, une terre de paix, de justice et de liberté.
La Fondation Alkarama fait partie, dès le début,  il y a douze ans, du Jardin des disparus. Monsieur Rachid Mesli a apporté son aide et ses compétences, et nous a informés des pratiques de disparition forcée, plus particulièrement en Algérie. Cette rencontre autour d'un projet éminemment important pour de nombreux habitants de notre commune nous a également donné l'occasion de faire ainsi la connaissance de nombreuses associations de défense des droits de l’homme, dont la Fondation Alkarama.

Le Jardin des disparus a certainement contribué à sensibiliser les autorités meyrinoises, quelle que soit leur orientation politique, aux droits de l'homme. Ainsi, lorsque nous avons appris au début de cette année, qu'un de nos concitoyens meyrinois avait été arbitrairement arrêté et emprisonné à Paris sans la moindre justification, il était évident que nous devions apporter notre contribution, aussi modeste soit-elle, pour tenter de le libérer.
Ce concitoyen meyrinois, c'est Monsieur Mourad Dhina, votre Directeur exécutif, et je suis particulièrement heureux qu'il soit aujourd'hui à nouveau libre et parmi nous. Sa détention fut longue et particulièrement pénible pour sa famille, sa femme et ses enfants, que nous côtoyons régulièrement à Meyrin.
Dès lors, il était important que des Meyrinois et y compris les autorités se montrent solidaires. Et il est réconfortant pour tous les défenseurs des droits de l'homme de voir que l'engagement et la solidarité permettent d'ouvrir les portes des prisons.

Ceci nous encourage aussi à poursuivre notre combat pour que d'autres prisons s'ouvrent, notamment celles des deux lauréats du prix Alkarama 2012. Le choix de votre Fondation est particulièrement judicieux tant il est vrai que les projecteurs médiatiques, en se focalisant sur certains pays comme aujourd'hui la Syrie, l'Egypte ou la Palestine, ce qui s'explique évidemment par les événements dramatiques qui s'y déroulent, laissent dans l'ombre d'autres régimes, qui de ce fait se sentent plus libres de violer les droits humains. Je suis évidemment très sensible et révolté par l'arrestation, le 17 juillet de cette année, du Dr. Mohamed Abdullah Al Roken qui venait signaler aux services de sécurité la disparition de son fils et de son gendre dont on est sans nouvelle jusqu'à aujourd'hui. J'ignorais jusqu'alors que la disparition forcée de personnes se pratiquait également dans les Emirats arabes unis. Meyrin, à travers son Jardin des disparus, inclura désormais dans son engagement contre la disparition forcée de personnes, les disparus des Emirats arabes unis et leurs familles dont le Docteur Mohamed Abdullah Al Roken toujours détenu en cellule d'isolement.

L'intimidation a toujours fait partie de la panoplie des armes des dictateurs. L'arrestation, il y a 5 ans, et la condamnation, il y a une année, à 30 ans de prison d'une personnalité tel que le Docteur Saud Mukhtar Al Hashimi, connu et reconnu pour son travail humanitaire en Irak, relève de cette volonté d'intimider, de tétaniser et de dissuader tous ceux qui auraient des velléités de liberté, c'est à dire de «penser autrement» que le gouvernement du Royaume d'Arabie Saoudite et de l'exprimer. La défense des droits de l'homme est un engagement pour la liberté des prisonniers d'opinion, pour la liberté de penser autrement, pour la liberté de pouvoir exprimer publiquement et avec d'autres cette pensée différente, pour la liberté de pouvoir échanger et débattre de cette pensée différente avec des hommes et des femmes partout à travers le monde, car ce n'est qu'ensemble, entre personnes d'origines, de cultures et de pensées diverses, mais appartenant toutes à un seul et même monde, notre communauté de destin, que nous arriverons à relever les énormes défis auxquels nous devons faire face pour assurer aux générations actuelles et futures un avenir meilleur.

C'est fort de cette conviction et de cet espoir que je suis heureux d'être à vos côtés ce soir pour la remise du prix Alkarama 2012.

Je vous remercie.

Pierre-Alain Tschudi, Maire