Madame le Maire,
Monsieur le Conseiller administratif,
Chère famille de disparus sahraouis,
Mesdames, Messieurs, cher-e-s ami-e-s,
Au nom de l’Association « Jardin des disparus », je vous souhaite la bienvenue ici à Meyrin dans ce lieu auquel nous sommes très attachés, bien qu’il soit récent. Permettez-moi donc brièvement de vous faire une visite guidée. Inauguré, le 7 octobre 2000, comme le rappelle la stèle à ma droite, par des familles et proches de disparus du monde entier, ce jardin est d’abord un lieu de mémoire. Bien sûr, les familles et proches des disparus ne risquaient pas d’oublier leurs être chers, qui, un jour, leur ont été arrachés par des hommes en uniforme ou en civil et dont ils sont restés sans nouvelles pendant de longues années, pour beaucoup jusqu’à aujourd’hui. Mais pour entretenir la mémoire des disparus cela ne suffisait pas. Il fallait un lieu où cette mémoire puisse être transmise, partagée. Pour que les disparus continuent à vivre dans nos mémoires, il faut que de nouvelles personnes puissent faire leur connaissance, s’approprier leur histoire, connaître leurs engagements et poursuivre leur combat pour la justice, la démocratie et la liberté.
Le jardin des disparus est aussi un lieu de recueillement, un havre de paix, où les familles des disparus aiment à venir dans des moments où la disparition est particulièrement lourde à porter. Ainsi chaque année, le 25 décembre, nous célébrons ici une cérémonie de Noël, à l’initiative de nos amis chiliens. Mais le jardin des disparus n’est pas pour autant un cimetière. Les six arbres que nous y avons planté, un pour chaque continent et un sixième, universel, pour les droits humains, sont des symboles de vie. En se dressant vers le ciel, ils expriment bien la volonté de ne pas se laisser abattre, de puiser ici sur ce lopin de terre, force et courage pour poursuivre l’idéal des personnes disparues.
Le jardin des disparus est également un lieu de rassemblement. Depuis sa création, nous nous y sommes retrouvés à plusieurs reprises et nous y avons accueilli de nombreux représentants de familles de disparus de passage à Genève, comme les Grands-Mères de la Place de Mai, une mère kurde, la sœur de Bruno Manser, ce Suisse disparu dans les forêts de Bornéo pour s’être battu contre la destruction des forêts tropicales, et aujourd’hui vous, les familles de disparus du Sahara occidental. Il nous importe beaucoup à nous qui vivons à Genève que lorsque des défenseurs des droits humains viennent aux Nations Unies, à la commission des Droits de l’Homme, nous puissions les accueillir, leur témoigner notre solidarité, leur dire que nous sommes à leur côté dans leur combat pour la vérité et la justice. Le jardin des disparus est un lieu de rassemblement, de réunion et d’union, parce qu’au-delà de nos origines diverses, de nos parcours de vie différents, nous aspirons aux mêmes valeurs universelles de respect de la vie, de liberté et de justice.
Le jardin des disparus est enfin aussi un lieu de colère, un lieu où nous clamons notre colère contre ce qui est un crime contre l’humanité : séquestrer clandestinement des personnes, les soumettre à des conditions extrêmement pénibles, les laisser sans aucune défense, les torturer, les tuer, bafouer leur droit à une sépulture, laisser les familles dans l’ignorance et le désespoir est un crime contre l’humanité. Nous y manifestons également notre colère contre toutes les atteintes aux droits humains, comme celle qui empêche aujourd’hui des familles de disparus sahraouis, retenues par les autorités marocaines, de participer à notre rencontre et de venir témoigner sur les disparitions forcées de personnes au Sahara occidental. Nous ne pouvons pas non plus nous empêcher d’exprimer notre colère contre la guerre en Irak qui bafoue l’ensemble des Droits humains dont le plus fondamental, le droit à la vie. Il est insupportable de voir tout un peuple, des millions d’hommes, de femmes et d’enfants privés d’eau et de nourritures, bombardés nuits et jours, probablement contaminés durablement par l’utilisation d’uranium appauvri. Cette guerre horrible ne fait qu’encourager la spirale de la haine, elle souille et déshonore l’être humain et la terre. Se battre pour la justice c’est aussi se battre contre la guerre, c’est se battre pour la dignité de l’être humain. Il nous faut continuer à refuser cette course à la mort et opposer à l’arrogance et au discours délirant des fauteurs de guerre une conscience planétaire. Hier soir, ici à Meyrin, sur la place des Cinq-Continents, une centaine de jeunes Meyrinois ont réaffirmé leur colère contre la guerre et leur engagement pour la paix. Cet après-midi d’autres jeunes clameront à Genève leur colère contre un ordre mondial qui accroît le fossé entre les nantis et les peuples du Sud. En joignant, ce matin, nos voix à ces cris de colère, nous opposons à ceux qui cherchent à nous plonger dans l’impuissance et la résignation un message d’espoir : Tous ensemble, de par le monde, nous élevons nos voix pour un autre monde, et la colère qui s’élève de partout contre l’injustice est plus que la simple condamnation de cette injustice, c’est une colère durable qui nécessite courage. force et persévérance. Des rassemblements comme celui d’aujourd’hui au Jardin des disparus contribuent aussi à nous redonner cette force nécessaire.
Je terminerai par remercier la commune de Meyrin qui, à notre demande, à apposer ce panneau explicatif à ma droite que nous inaugurons également aujourd’hui. Il permettra au promeneur de s’approprier ce lieu de mémoire, de rassemblement et de colère et de pouvoir ainsi, en connaissance de cause, y apporter son témoignage de solidarité.