Cher-e-s ami-e-s,
Il y a dix ans et deux jours, nous étions nombreux réunis dans ce parc meyrinois qui n'avait alors pas de noms et qui n'était connu et fréquenté que des élèves du cycle de la Golette et des habitants du voisinage. En y plantant alors cinq arbres originaires de cinq continents, en y mélangeant de la terre venue d'Europe, d'Afrique, d'Asie et d'Amérique Latine et en y inscrivant dans une stèle notre exigence de vérité et de justice, nous avons fait de ce parc le Jardin des disparus. Et en dépit d'un chantier qui a occupé pendant dix ans une bonne partie de ce jardin, en dépit de sa situation très périphérique, le Jardin des disparus a grandi, est devenu un lieu de vie, de rencontre, de lutte et d'espoir, aujourd'hui connu et reconnu par les familles et les proches de la disparition forcée dans le monde entier. Lors qu'il y a onze ans, Teresa Meschiati a lancé l'idée de créer un Jardin des disparus en Suisse, si possible à Genève, et si possible à Meyrin, dans sa commune d'adoption, elle a rencontré un écho bienveillant auprès des autorités communales, mais elle a surtout suscité une adhésion immédiate et un engagement de nombreuses communautés vivant à Genève qui n'avait alors pas l'habitude de se fréquenter, parfois divisée par des appréciations très divergentes sur l'interprétation de la marche du monde. Le Jardin des disparus les a réunis, parce qu'il relevait et rendait visible un problème grave d'une ampleur universelle, d'une pratique qui n’est dans aucun cas justifiable et qui constitue une négation totale de l’Etat de droit, de la justice et de la personne, et ce quelque soit l'idéologie de ceux qui commettent ces crimes. Pendant dix ans, le Jardin des disparus et ses six arbres, un arbre des droits humains étant venus rejoindre ses cinq camarades, a été le témoin de moments exceptionnels, émouvants, réconfortants. A Genève, ici à Meyrin, les victimes de la disparition forcée ont leur point de rencontre, où dans la mémoire de celles et ceux qui se réunissent ici, leur combat, leurs idéaux, leur volonté de justice et de liberté perdurent. Combien de jeunes qui sont nés à Genève ou qui y sont venus très jeunes ont entendu dans ce jardin le message de paix, de justice sociale et de liberté que des criminels ont vainement cherché à étouffer en faisant disparaître des hommes et des femmes ! Ils ont pris conscience alors que ce passé qu'ils n'ont pas connu directement faisait partie aussi de leur propre Histoire. Les anniversaires sont généralement l'occasion de rétrospective. Je vous épargnerai une rétrospective de tous les événements qui ont jalonné les dix années d'existence du Jardin des disparus et vous invite à venir voir vendredi prochain le film de Pascal Baumgartner qui documente admirablement la genèse et la jeunesse du Jardin des disparus, ainsi que ses divers engagements.
Nous avions espéré pouvoir célébrer lors de ce dixième anniversaire trois événements en comptant sur l'engagement de plusieurs, la bonne volonté de certains et aussi un peu sur des coïncidences. Finalement, nous devrons nous limiter à un seul: l'inauguration du nouvel aménagement de notre Jardin qui coïncide avec ce dixième anniversaire. Je souhaiterais au nom du Jardin des disparus exprimer notre profonde gratitude aux autorités communales, aux différents services de la mairie impliqués, culturel, environnement et travaux publics, et à l'artiste Anne Blanchet, auteure du réaménagement artistique du Jardin des disparus. Toutes et tous n'ont pas ménagé leurs efforts et ont travaillé d'arrache-pied pour que nous puissions aujourd'hui, dans le cadre de notre dixième anniversaire, inaugurer le nouvel aménagement du jardin des disparus. Anne Blanchet commentera tout à l'heure elle-même toute la passion qu'elle a mise dans ce travail, aussi bien lors de sa conception que dans sa concrétisation. Qu'elle en soit chaleureusement remerciée.
Venons-en maintenant rapidement aux deux célébrations que nous devons reporter pour des raisons indépendantes de et contraire à notre volonté.
Le 9 août dernier, le 19ème Etat ratifiait la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre la disparition forcée. Ces ratifications d'Etat interviennent depuis l'adoption de la dite Convention au compte-goutte, on pouvait donc raisonnablement espéré, qu'un 20ème Etat la ratifie au cours des deux mois suivants ce qui nous aurait permis de fêter aujourd'hui l'entrée en vigueur de cette Convention internationale pour laquelle nous nous battons depuis bientôt trente ans. Je laisserai à Louis Joinet, un des artisans principaux de la Convention qui nous fait l'honneur d'être parmi nous, le soin de nous rappeler l'importance de cet instrument juridique.
J'en viens maintenant au deuxième événement que nous ne fêterons pas cet après-midi. Avec une vingtaine d'autres associations, le Jardin des disparus a récolté l'hiver dernier 9000 signatures pour une pétition demandant au Conseil fédéral de signer et de présenter à l'Assemblée fédérale pour ratification la Convention contre les disparitions forcée. La cheffe du Département fédérale des Affaires étrangères, Micheline Calmy-Rey, nous répondait le 28 avril dernier en réponse à la pétition. « Le DFAE entend soumettre au Conseil fédéral, probablement avant la pause estivale, la proposition de signer la convention. » Porté par un optimisme de la volonté, nous avons espéré alors pouvoir fêter, probablement après la pause estivale, éventuellement aujourd'hui, la signature de la Convention par la Suisse. Il nous faudra encore patienter retourner à Berne, probablement avant la pause hivernale, pour rappeler au gouvernement suisse un dossier qui n'est de toute évidence pas très prioritaire à ses yeux.
En dehors de ses traditionnelles cérémonies au Jardin des disparus, notre association a donc encore bien du pain sur la planche dans les années à venir, obtenir l'adhésion de la Suisse à la Convention et être aux côtés de celles et ceux qui se battent pour son entrée en vigeur et sa mise en oeuvre. Je souhaite que la cérémonie d'aujourd'hui soit pour nous tous l'expression d'un engagement à poursuivre notre action. Je vous remercie.
Pour souligner l'importance de cet engagement, je vais passer maintenant la passer maintenant la parole à Monsieur Louis Joinet, l'ancien président du groupe de rédaction du projet de Convention contre la disparition forcée. Je remercie Louis Joinet d'être venu exprès de Paris pour nous en parler.
Pierre-Alain Tschudi 9 octobre 2010