Prise de position de Pierre-Alain Tschudi au nom des Verts concernant le droit de vote et d'éligibilité des étrangers au niveau communal (Extraits) :
J'aimerais en tant que cosignataire de la résolution et au nom des Verts, prendre en considération les réticences qui ont été exprimées en commission et que Janine Sobczak a rappelées dans son rapport. Comme il y avait plusieurs types de réticences, cela va prendre un certain temps. […]
En commission, certains se sont demandé si le moment d'adopter une telle résolution était vraiment bien choisi. C'est une question que nous nous sommes aussi posée. Et à ce propos, j'ai fait un rêve la nuit dernière :
Le Conseil municipal avait adopté à l'unanimité la résolution. Il ne s'était pas posé la question de l'opportunité. Mais il avait réfléchi comment aborder dans les meilleures conditions possibles- et ce en dépit des difficultés économiques - l'avenir de Meyrin et il avait constaté l'importance de faire participer tout le monde. Il serait bon - avaient souligné les conseillers municipaux de Meyrin - que les résidents installés depuis un certain temps en Suisse aient non seulement des obligations (impôts, école obligatoire, respect des lois), mais également des droits qui favorisent leur intégration et leur sentiment d'appartenance à cette ville commune, la commune de Meyrin. La presse avait repris ces propos. Un débat s'était alors engagé dans le canton. Dans d'autres communes, à l'initiative soit du Parlement des Jeunes soit de quelques conseillers municipaux, des résolutions similaires avaient été adoptées. Des groupes de jeunes avaient alors invité et interpellé des députés du Grand Conseil dans le cadre de civiq' cafés ou autres réunions. Ces rencontres faisaient régulièrement l'objet d'articles dans la presse et suscitaient parfois la réaction de lecteurs. Les conseillers municipaux meyrinois n'étaient pas restés inactifs. Ils avaient longuement discuté avec les députés de leurs partis respectifs et participé à des débats publics. Ce qui quelques mois plutôt paraissait impensable s'est alors produit lors du débat au Grand Conseil : On savait bien sûr que les Verts, l'AdG et la majorité des socialistes étaient favorables à la résolution meyrinoise. Ce ne sont donc pas eux qui ont créé la surprise, mais les députés de l'Entente : Des députés libéraux se sont écriés qu'il fallait que ce climat de pessimisme cesse, qu'il fallait oser innover, revigorer un système parlementaire lui-même en crise. Ils ont ajouté qu'il fallait l'apport et l'intelligence de tous, y compris des étrangers, pour que Genève gagne, que Genève faisait régulièrement appel à des étrangers comme Arthur Andersen par exemple, pour ne pas le nommer. Un démocrate-chrétien invita ensuite ses collègues députés à ne pas répéter les erreurs du passé et il rappela que lors d'un vote populaire jadis les Genevois avaient refusé le droit de vote aux catholiques les considérant inadaptés au mode de vie genevois. Un seul député libéral en revanche s'opposa à cette idée de modifier la constitution genevoise. Est-ce que nos Suisses de l'étranger ont le droit de vote eux ? s'écria-t-il. Ceux qui souhaitent avoir des droits politiques n'ont qu'à adopter la nationalité suisse. Un Vert allait lui répondre, mais un député radical le devança en exhortant le libéral de cesser de s'accrocher à la nationalité suisse comme à une assurance-vie et il conclut en citant de mémoire, mais sans la moindre faute, les propos toujours actuels de James Fazy : «Notre véritable nationalité, c'est d'être sans cesse en avant ; c'est ce qui a distingué Genève, c'est ce qui la distinguera encore. » Après de tels propos, nul ne s'étonne que le Grand Conseil à une écrasante majorité accepta le projet de modification de la constitution. La Tribune de Genève, le Courrier et le Journal de Genève toujours à l'affût de grandes causes parlèrent d'un nouvel «esprit de Genève». Et c'est avec confiance et non sans fierté que les Genevois adoptèrent la modification de la constitution. A Meyrin, les résultats furent accueillis par une grande fête spontanée sur la place des Cinq-Continents. Meyrin, fière d'avoir été à l'initiative d'une évolution des mentalités qui paraissait encore impensable début 1997, fut la première commune du canton à accorder le droit de vote et d'éligibilité aux étrangers.
C'est là que le réveil a sonné. Dans un rêve, il est difficile de mesurer le temps. Au réveil, certains détails du rêve vous échappent. Impossible de vous dire si tout s'est passé aussi facilement et combien de temps cela a duré. Une chose pourtant est claire : Le moment déclenchant fut l'adoption de la dite résolution par le Conseil municipal de Meyrin le 14 janvier 1997, alors qu'il semblait que le moment était inopportun. Un climat de morosité, de frilosité, de repli égoïste régnait alors. Il est difficile de prédire si le rêve deviendra réalité. Par contre ce que le rêve révèle : C'est nous qui créons le moment opportun, si nous le voulons bien.
Certains diront, oui mais les rêveurs solitaires oublient que les citoyens ont clairement exprimé leur opposition au droit de vote des étrangers. Ne sommes-nous pas tenus de respecter cette volonté populaire? D'abord précisons que nous n'avons pas voté pour un droit de vote et d'éligibilité se limitant au niveau communal. Ensuite, il serait dangereux d'attribuer à nos concitoyens une pensée unique et figée. Ils attendent des responsables politiques des propositions politiques nouvelles. Les politiciens sont souvent discrédités parce qu'un grand nombre d'entre eux préfèrent consulter les sondages d'opinion pour savoir ce qu'ils vont ensuite s'autoriser de penser, comme disait Coluche. Être démocrate ce n'est pas refléter fidèlement ce que la majorité pense à un moment donné, c'est faire des propositions intelligentes, les débattre ouvertement et puis les soumettre à un verdict populaire. Nous nous sentons responsables de notre commune, donc nous réfléchissons à des solutions qui, selon nos convictions, favorisent le bien-être, l'harmonie, la convivialité, la qualité de vie des habitants de notre commune. Et pour ce faire, nous pensons judicieux de faire participer le plus grand nombre d'habitants pour construire l'avenir avec eux. Je vous rappelle que c'est bien grâce à l'acharnement de quelques-unes et aussi de quelques-uns, et ce en dépit de moultes échecs, que les femmes ont obtenu, après plus de 60 votations cantonales et fédérales, le droit de vote et d'éligibilité. Si les femmes s'étaient contentées d'attendre sans bouger que les hommes suisses soient majoritairement disposés à leur accorder des droits politiques, elles attendraient probablement encore. Hier, c'était le droit de vote des femmes qui divisaient les Suisses, aujourd'hui c'est le droit de vote des étrangers, demain ce sera autre chose et nos petits-enfants seront étonnés que nous ayons eu un jour à nous battre pour le droit de vote des étrangers. Adopter une attitude démocratique, être mû par un idéal démocratique, c'est précisément aspirer à l'engagement civique de tous les habitants de Meyrin et de se battre dans ce sens. Notre rôle politique, à notre modeste échelle, c'est certainement d'écouter ce que les gens disent et pensent, mais ce n'est pas forcément de penser ce que les gens disent. Si les sondages d'opinion devaient demain dicter les conduites politiques, ce serait alors la fin de la démocratie.
Certains disent que les étrangers n'ont qu'à devenir suisses, s'ils veulent obtenir des droits politiques. Nous ne sommes pas opposés à ce qu'on facilite la naturalisation de ceux qui désirent obtenir la nationalité suisse. Mais devenir suisse est dans l'esprit de la majorité des gens l’aboutissement d'une intégration qui va bien au-delà d'une intégration dans une commune. Je m'explique : De nombreux habitants de cette cité ont développé au cours des années un sentiment d'appartenance à Meyrin, grâce aux amitiés qu'ils s'y sont fait, grâce à leur participation à la riche vie associative de cette commune, grâce aux fêtes qui réunissent régulièrement les habitants de la commune y compris la fête du 1er août. Ils sont Meyrinois, ils sont de culture meyrinoise, étant entendu que la culture meyrinoise, et personne ne nous contredira dans cette commune fière de ses 110 nationalités, est une culture métissée. En revanche, ils ne sont pas obligatoirement Suisses ou ne se sentent pas obligatoirement de culture suisse, qu'ils auraient comme nous bien du mal à définir d'ailleurs. Ils sont Meyrinois et Suisses, Meyrinois et Russes, Meyrinois et Argentins, Meyrinois et Erythréens, Meyrinois et Français. Mais quelque chose les sépare : Les uns ont le droit de participer à la vie politique institutionnelle de cette commune et les autres pas. C'est une discrimination inutile et injuste qui porte préjudice à notre vie communale. Près de la moitié des habitants sont exclus de certains débats et de certaines prises de décisions alors qu'elles les concernent au même titre que les autres et qu'ils vont également devoir participer à l'effort financier nécessaire à leur réalisation. Il n'y a donc rien de naturel, ni de logique à ce que les uns aient le droit de vote et d'éligibilité et les autres pas. Rien ne nous empêche par conséquent de proposer les modifications politiques qui paraissent aujourd'hui mieux correspondre à la réalité d'une commune comme la nôtre sans poser l'exigence préalable d'une naturalisation qui peut légitimement poser problème à nos concitoyens étrangers. Je rappelle quand même qu'on est «naturalisé» Suisse, ce qui suppose pour ceux qui prêtent attention au mot «naturalisation» un changement de nature, donc un sacré «lifting». Poser une exigence aussi élevée, ce n'est pas chercher à faciliter l'intégration des étrangers dans notre commune par l'égalité et l'engagement civique. C'est un peu comme si l'on disait que pour être conseiller municipal à Meyrin, il fallait d'abord devenir conseiller national. On peut très bien, connaître parfaitement sa commune, mais très mal la Suisse. Il y en a ici qui n'oseront pas me contredire.
Le fond du problème ou, en d'autres termes, ce qui nous divise probablement ce soir, c'est la question suivante : Est-ce que le droit de vote est un facteur d'intégration ou la récompense pour une intégration réussie ? Faut-il plutôt avoir toutes les garanties d'une intégration réussie pour accorder le droit de vote ou vaut-il mieux considérer que le droit de vote est un instrument qui favorise l'appartenance à la commune et qu'il est par conséquent un facteur d'intégration ? La Commission des communautés européennes du 24 juin 88 est formelle : «Il n'est pas de meilleure intégration que de permettre de participer à la désignation des organes municipaux ». Je pense d'ailleurs qu'on peut également rajouter que c'est un facteur de renforcement de la vie démocratique en général. Car on peut aisément imaginer que, lorsque tous les habitants seront appelés à participer à des élections ou à un vote, ces moments de la vie démocratique susciteront plus de débats dans les cafés et immeubles de la cité qu'aujourd'hui et qu'en conséquence le taux d'abstentionnisme baissera.
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